Maki de courgette au chèvre frais et pistou.
Avant, en bas de chez moi, il y avait cette brasserie de quartier que j’aimais bien.
Un peu à l’ancienne, certes, mais bien utile quand j’en avais marre de bouffer du mac do ou des sushis dégueus. Alors ok, les serveurs étaient à moitié aimables, c’était un peu flingué comme déco, mais bon, je pouvais y commander un croque monsieur et un coca, et m’en tirer pour 12-13 balles. Voir un œuf-mayo, un pavé sauce au poivre et un demi, si je me sentais d’humeur franchouillarde.
Les gars en avaient rien à branler de la bouffe, ils jouaient pas les puristes. Ils assumaient, à coup de ballons de vin blanc à 11 heure du mat, le paki qui charbonne pour 4 en cuisine. Et ça se passait bien!
Et puis un jour, ils ont fait des travaux. Je sais pas trop, je crois que c’est le fils du patron qui a reprit la baraque. Sans doute galvanisé par les succès des infernales tendances dites « foodies » et « déco », ce peigne-cul a entreprit de branchiser son établissement. Aie. « D’opérer un virage stylistique », plus exactement. A noter que le mec ne parle plus de décoration pour son gourbi, mais de D.A. Excuse-nous, Philippe Starck.
Tout a changé. La forme des assiettes a changé, la carte a changé, la peinture aux murs s’est fait plus mate, voire pastel, même la tenue des serveurs a évolué. Ils avaient l’air de cons, maintenant ils ont l’air de cons prétentieux. On a vu apparaître ci et là deux trois bougies qui puent, et même la typo sur la porte des chiottes s’est faite plus « pointue ».
Mais les deux plus grand changements ont eu lieu dans l’assiette et sur l’addition : de manière inversement proportionnelle, évidemment. En gros il y avait moins à manger, pour plus cher. Moins pour plus. Comment une telle magie noire a-t-elle pu se produire ? En interrogeant le patron, qui porte le cheveu mi-long, un caban et des bottines, je me suis vu répondre que désormais ils étaient dans un délire « bistronomie ». Un rapide tour sur wikipedia m’informe qu’il s’agit d’un néologisme, mot-valise de bistro et gastronomie, et qui signifie : « grande cuisine servie en petite quantité ».
Ah. Exactement l’inverse de ce dont j’ai besoin.
J’ai faim, gros. Et j’ai pas envie de me faire ouvrir en deux dans un pauvre bistro de merde, qui se la raconte pour choper les 3 bobos pinterest du quartier. Je m’en tape de ton vin naturel, de tes produits issus de circuit courts, de ta viande française sans OGM, et de ton chef Jean-Paul Duplex que personne connaît et que tu présentes comme un « petit génie de la cuisine ». J’ai faim, sale batard.
Oui, je me branle de ton maki de courgette au chèvre frais et pistou, de ta polenta servie en tarte de légumes avec sa vinaigrette à l’huile de noix, de ta truite en quenelle, épinards sautés et beurre blanc. Je sais très bien que mes 37 balles d’addition en liquide vont payer ton prochain 4X4 sans passer par la case impôts. C’est pas vraiment ça qui me dérange, que tu m’encules, tous les restaurateurs le font, et j’ai fini par m’y faire, sans pour autant aimer ça. Ce que je n’apprécie pas, en revanche, c’est que tu me prennes pour un con, là, comme ça, en bas de chez moi.
Alors, on va me répondre que maintenant, c’est bon. Non, c’est pas bon. C’est féminin, raffiné, tendance, joli, ce que tu veux. Mais je suis pas chef Piège, moi. Je pique pas les aliments avec une seule dent de la fourchette. J’estime, sans doute connement, que pour plus de 20 euros le repas, je peux à minima exiger de ne plus avoir faim en sortant de ton rade.
Et non, je ne veux pas de sauce à la truffe dans mon burger, fumier.
Allez, bonne chance.