« Des personnes consultent votre profil ».
Même si personne ne sait vraiment comment ça se prononce, tout le monde connaît Linkedin. Ce réseau social assez austère a la particularité d’être un réseau « pro ». C’est à dire qu’on n’est pas là pour rigoler, ou pour raconter sa life. Ici, tu ne mets pas une photo de ton chien avec des lunettes ou de tes dernières vacances à Patmos. Ici, tu mets ton CV et tu la joues corpo.
On est là pour faire du réseau, du business, pour trouver du taf, pour mettre en valeur ses « aptitudes et expériences », pas pour enculer les mouches. C’est le royaume des gens motivés, investis dans leur carrière, résolument pro-business, et enthousiastes à l’idée de « gravir les échelons ». Sur Linkedin, pas de place pour les branleurs : le premier degré règne en maître, cynisme ou agressivité n’ont pas leur place. Ici, on se présente sous son meilleur jour. Ici, on a la patate, la gagne, l’envie de bouffer le monde, bordel.
Ce qui, vu de l’extérieur, est assez contradictoire avec la gueule des gens sur leur profil. Putain, la tristesse des visages. Éteints, les mecs. Des statues de cire, figées et inexpressives. A croire qu’ils ne sont pas si motivés que ça à aller bosser, en fait, tous ces petits messieurs-dames. Déjà sur la tof, ils semblent penser au week-end et conchier leur patron en cachette.
Mais ce n’est pas vraiment leur faute. La peur de la précarité, et une mauvais lecture des codes du monde du travail, pousse parfois à faire des choix étranges. Ok, tu te mets en chemise ou en costard pour avoir l’air pointu-carré, pas de soucis. Mais tu n’as pas de raison de prendre une fausse gueule comme ça. Avoir l’air con n’est pas nécessairement un gage de fiabilité, tu sais.
Et ce supposé impératif de neutralité donne parfois lieu à des scènes cocasses : en lisant tes mails du lundi matin, tu vois apparaître ce pote, que tu as vu l’avant-veille bourré en train de dégueuler sur sa chemise déchirée, mais désormais en mauvais costard et avec sa pire gueule de faux-cul, qui t’annonce « qu’il aimerait rejoindre ton réseau sur Linkedin ».
Ok gros, pas de soucis, viens. Oui, parce que c’est très bon enfant sur cette plateforme. Par exemple, les gars les plus « badass » sont généralement les patrons de start-ups, qui se rêvent un peu en rebelles du game. Ils n’hésitent pas à en faire des tonnes sur la créativité, l’énergie, l’innovation, alors que ce sont juste des mecs d’écoles de commerce qui ont mis des sweat-shirts à message, une table de ping pong dans l’open-space, et qui se rêvent en Elon Musk… Au sein de cette audience triée, ils n’hésitent pas à se définir un peu comme des « pirates » du business, en s’affublant de titres comme « corporate hackers » et autres néo-fumisteries. Alors qu’ils ont toujours été les mecs les plus chiants de la bande, sur Linkedin, ce sont eux les foufous. C’est dire à quel point on s’emmerde.
Ce réseau est assez performant, et bourré de fonctionnalités diverses. Dont une qui déchire, il faut bien le dire : vous pouvez voir qui a consulté votre profil. Ça, c’est fort. Quand un gars archi-important de ton secteur professionnel passe par chez toi, ça te fait une petite montée. Tu te vois déjà te faire chasser à prix d’or par sa boîte, tu t’imagines en haut de l’affiche, ça fait du bien. Pour nos amis plus branchés selfies que RTT, c’est un peu l’équivalent de quand une célébrité like un des tes posts sur insta. Ca fait zizir, hamdoullah.
Bon, c’est vrai, ça peut donner lieu à des trucs bizarres. Par exemple, tu ne t’expliques toujours pas ce que ce mec qui vends des jantes pour voitures de luxe à Dubai vient foutre ici, mais bon.
Reste la dernière et peut-être seule question qui compte : peut-on baiser grâce à cet outil?
Et bien, il paraît que oui.
C’est assez logique: entre hommes et femmes soumis au grand capital et bien décidés à produire et consommer le plus possible jusqu’à leur mort, il y a souvent moyen de s’entendre, à défaut de se marrer.
Allez, bonne chance.